Témoin d’un temps révolu, la microtoponymie des parcelles du cadastre Napoléon conserve le souvenir de la viticulture dans notre village, à l’image des autres communes du département. On peut penser qu’initialement établi à Nawé (1) aux «vieilles vignes», le vignoble de Bras s’est déplacé sur la côte des vignes surplombant la route de Louvemont, à laquelle on accédait par le chemin et le sentier du même nom (2). Très morcelé il était exploité en famille en parallèle à un lopin de terre.La viticulture était très ancienne et largement répandue dans le Verdunois. Lors du partage des menses capitulaire et épiscopale au dixième siècle, l’évêque Dadon avait décidé que tout sujet du chapitre allant habiter les terres de l’évêque et réciproquement verserait un muid de vin à son nouveau seigneur (3). Elle connut un vif essor de 1200 à 1310, remplaçant des labours y compris dans les secteurs apparemment peu propices. Son travail au Moyen Age a été relaté par G. Cabourdin. Au sortir de l’hiver, la vigne était taillée, débarrassée des échalas en mauvais état puis en mars avaient lieu le premier bêchage et le marcottage appelé aussi provignage par lequel on enfouissait la souche, tandis que l’on plantait de nouveaux échalas, le paxelage. En mai, les femmes procédaient au chaourtage, en enlevant les pousses sans fruit et en juin, elles coupaient l’extrémité des sarments, les pliaient et les attachaient aux échalas : c’était le relevage. Les hommes, plus occupés par les labours de la jachère, donnaient quelques coups de bêche et de houe aux pieds des ceps. La surveillance des vignes commençait l’été pour éviter la rapine. Une nouvelle fois relevée en septembre puis mise «en défens» par le ban communal, elle était vendangée à une date variable entre fin septembre et début octobre, fixée par le seigneur ou la communauté. La cueillette se faisait hâtivement et la récolte était amenée au pressoir banal où le seigneur prélevait sa redevance en nature. Le curé touchait le tiers des dîmes se levant sur l’onzième de toutes choses dont le vin, à la mesure de Beaumont, les deux autres tiers revenant aux abbesses de Saint Maur.Au milieu du quatorzième siècle, des conditions climatiques difficiles avec des pluies catastrophiques entraînèrent l’abandon de terres et de vignes. Les campagnes et vignobles de Verdun furent constellés de «désert» et la peste envahit la région. Après ces difficultés de la fin du Moyen Age, le vignoble fut reconstitué (4) et un pied terrier de 1589 atteste sa présence à Bras. La viticulture venait en seconde place après les céréales, l’encépage se faisant sur le moindre versant ensoleillé, car les vignes aiment les terrain inclinés, où elles trouvent un supplément de chaleur et s’épurent mieux que sur les terrains plats, sujets à l’invasion des maladies. Mentionnées régulièrement dans les comptes de mairie, les vignes de Bras sont détaillées en 1634 dans le pied terrier de la prévôté de Charny dont nous faisions partie, rédigé par Nicolas Boucher, échevin conseiller de l’Evêché. « La banalité du pressoir de Vacherauville où les habitants sont tenus de presser leurs vins a été rachetée» mentionne t il, précisant que les 18 détenteurs de vigne figurant dans la déclaration jointe «doivent payer trois gros par quart de vigne le jour de Noël». La surface encépée représentait alors sur la commune un total de 9 jours trois quarts(5).
Au dix-septième siècle, les vins meusiens les plus réputés étaient ceux de Bar et certains crus appartenant à des établissements religieux ou à de riches bourgeois. Au début du dix-huitième, le quart de la production du département se consommait sur place, le reste s ‘exportant dans les pays de Liège, l’Ardenne et le Luxembourg d’où les négociants ramenaient des tissus, des cuirs et des ardoises (6). En l’an XI, la Meuse comptait un peu plus de 13 hectares plantés en vignes, dont 2,13 pour l’arrondissement de Verdun qui rapportait 14,61 hectolitres à l’hectare, soit un dixième de la production du département.
Les récoltes s’élevèrent au dix-neuvième siècle, avec de meilleurs rendements comme 50,8 hectolitres à l’ha sur l’arrondissement de Verdun en 1838, et 42,25hl/ha en 1852. Le canton de Charny arrivait en quatrième position derrière Fresnes en tête, suivi de peu par Etain, puis Varennes. Venaient ensuite ceux de Verdun, Souilly et Clermont. De tout temps les mauvaises récoltes succédèrent aux années plantureuses et vinrent désoler le vigneron trop pauvre en ressource pour pouvoir réserver, en vue de la disette, le superflu qui parfois l’accablait. Les cépages étaient multiples. M. Lemoine, délégué du canton de Charny rapporte que la vigne y était mal cultivée, ni provignée, ni rajeunie assez souvent et ne recevait aucun engrais. Mais même les bonnes années, les récoltes meusiennes étaient insuffisantes à parer les demandes de la consommation. Non classés, nos vins n’en étaient pas pour autant constamment mauvais ou médiocres. «Malgré le discrédit qui les frappe, ils sont salubres, hygiéniques, alimentaires, et possèdent tous les éléments qui caractérisent les vins d’origine méridionale comme le démontrent les analyses». Ceux de Bar et de Verdun, légers, délicats demandaient à être traités avec tous les égards dus aux grands vins ; ceux des côtes, plus durs et plus résistants, étaient d’une conservation plus facile.
Pour fortifier une vendange trop faible en alcool, ce qui était le cas 3 fois sur 5 dans nos contrées ou doubler la récolte obtenue au prix d’une dépense relativement minime, les vignerons procédaient au sucrage consistant à verser de l’eau sucrée sur les marcs puis à laisser fermenter pendant quelques jours. Transporté dans les champs, ce vin modifié s’y comportait mieux que le vin véritable, ne se troublant pas. Il était de règle que l’addition de sucre soit faite dans la proportion de 1,7 grammes de sucre blanc par degré d’alcool que l’on voulait donner à un hectolitre de vin. On aurait pu remplacer le sucre par la cassonade ou le glucose, mais outre la saveur désagréable que ces matières communiquent au vin, elles produisent moins d’alcool de sorte que l’économie aurait été illusoire. Les registres communaux de Bras rapportent ce sucrage le 25 septembre 1887 puis en 1888. La norme utilisée pour 3 hectolitres de vin de vendange était de 20 kg pour la première cuvée et 50 pour la seconde. 22 propriétaires différents déclarèrent de 3 à 24 hl de vin chacun, pour un total produit de 239 hectolitres. L’autorisation au sous directeur des contributions indirectes de Verdun fut donc demandée d’employer trente cinq quintaux de sucre au tarif réduit, pour le sucrage de leurs vendanges de première et deuxième cuvée. La dénaturation se faisait à la maison. Au début du vingtième siècle (1880-1911) la crise toucha l’agriculture, dans un climat de baisse des prix agricoles. La viticulture meusienne disparut peu à peu, frappée par différents maux (7). Difficiles à conserver en raison de leur faible degré alcoolique, compris entre 7 et 11°, nos vins subissaient la concurrence sévère des vins du Midi arrivés grâce au développement des chemins de fer et des conditions climatiques défavorables. Dans quelques villages (Hannonville sous les côtes, Sorcy, Bar le Duc etc), les vignerons créèrent des syndicats de protection du vignoble. Deux hommes surveillaient chaque nuit le thermomètre. Si la température descendait en dessous de 3°, ils sonnaient le rassemblement général. Tous les vignerons entretenaient alors dans les vignes des feux dégageant une fumée abondante, protégeant les plants de la gelée. A partir de 1878, le phylloxera fit son apparition ainsi que d’autres maladies qui attaquèrent les plans. Les récoltes diminuèrent. Les aides gouvernementales pour le traitement des vignobles atteints et l’introduction de plants américains résistants n’empêchèrent pas l’abandon progressif de la vigne.