A quelques mètres de la route départementale 964, dans le virage entre Bras et Vacherauville, un modeste monument lutte contre l’oubli. Au début du siècle, les processions venaient s’y recueillir. Point de départ d’une tranchée portant son nom, nul chemin n’y mène plus désormais. C’est une pyramide tronquée d’environ 1m50 de haut, édifiée en 1894 en pierre de Givet. Détruite pendant la première guerre mondiale, elle est remplacée en 1928 et porte la même inscription: « Ici a été fusillé par les allemands le 18 octobre 1870 Sébastien Violard, victime innocente qui mourut avec courage. Monument élevé par la Société des anciens élèves du Collège de Verdun à leur camarade.
Sébastien Violard a 60 ans en 1870. Veuf sans enfant, cet ancien notaire vit à Charny où son franc parler lui vaut quelques rancunes au sein de la population.
Le 19 juillet de cette année là, Napoléon III déclare la guerre à la Prusse. Le 24 août, l’ennemi est aux portes de Verdun et les communes voisines de la Place Forte se trouvent à diverses reprises le théâtre et le but des sorties effectuées par les troupes françaises. Le 29, une patrouille de reconnaissance formée de 2 lieutenants prussiens et de 4 hommes d’escorte est surprise à Charny par une attaque de francs tireurs ; les 2 officiers meurent en combattant et l’une des ordonnances est blessée. Les survivants sont conduits à Verdun pour y être emprisonnés. Le lendemain, les lieutenants sont inhumés au Jardin des Soupirs avec les honneurs militaires.
Le Général de Bothmer, basé à Eix, ordonne l’ouverture d’une enquête au début du mois d’octobre. Charny est menacé de pillage et d’incendie, mais sa position est trop utile à l’ennemi pour qu’il passe à l’acte. Une dizaine de personnes, dont le maire, l’adjoint, le curé, et Violard lui-même, est interrogée et sommée de nommer des responsables. Pris comme bouc émissaire, Sébastien Violard est accusé d’avoir prêté un cheval et une voiture au nommé Larue (en fuite depuis) pour prévenir les francs tireurs. Les dépositions des deux caporaux de la patrouille prussienne attaquée complètent le compte rendu d’enquête.
Violard est emprisonné à Bras à la suite des premiers interrogatoires, et traduit devant le tribunal militaire le 18 octobre 1870. Depuis le 10, le Général de Gayl a pris le commandement et établi le quartier général des opérations du siège à Charny. Bras est devenu leur centre d’approvisionnement et leur parc d’artillerie sur la rive droite, Fromeréville occupant un rôle similaire sur la rive gauche.
Bien qu’ayant nié jusqu’au bout toute participation, même indirecte, Sébastien Violard est condamné. Assisté de son frère et du curé de Bras, il est conduit sans attendre au pied d’un noyer, quelques pas de la route de Bras à Vacherauville. Il y est fusillé par les prussiens, refusant avec courage le bandeau qu’on lui offre. Après la reddition de Verdun, un service funèbre solennel sera célébré par le curé de Bras en présence de nombreux patriotes.
Ne s’estimant pas suffisamment vengé, l’envahisseur impose à Charny une contribution de 50000 francs, non comprise la fortune de M. Violard, confisquée à son profit. Après maints pourparlers, l’imposition supportée par cette commune est réduite à la somme de 10000 francs.
En érigeant un monument à cet ancien élève du Collège, l’Association veut consacrer la mémoire d’une victime innocente et courageuse. Parents, amis et patriotes sont invités à assister à l’inauguration pour «perpétuer les leçons du passé au profit de l’avenir» et « montrer à la jeunesse et à tous ceux qui viendront après nous comment les vainqueurs de l’année terrible ont traité les vaincus, comment ils nous traiteraient encore si nous nous laissions envahir et vaincre.»
Le 22 juillet 1894, en présence des sénateurs Buvignier et Boulanger et du député Prud’homme Havette, un peu plus de huit cent personnes descendent à la gare de Charny. Rejointes par la population des villages, le cortège se forme sous les accords de la chorale l’Indépendante. Après une visite au cimetière sur la tombe du défunt, la foule gagne le lieu de l’exécution. Le lieutenant colonel en retraite Martin rappelle la fin tragique de M. Violard. La lecture de deux poésies précède le discours du sénateur Boulanger. « La Marche Gauloise » et « Le Drapeau Tricolore » clôturent cette cérémonie patriotique devant une foule impressionnée.